Chronologie des événements du printemps berbère

Publié le 21 Avril 2011

PRINTEMPS BERBÈRE DE KABYLIE

 

20/04/1980 - 20/04/2011

 

Le Printemps berbère désigne l'ensemble des manifestations réclamant l'officialisation de la langue tamazight et la reconnaissance de l'identité et de la langue berbère en Algérie à partir de mars 1980 en Kabylie et à Alger. Il s'agit du premier mouvement populaire d'opposition aux autorités depuis l'indépendance du pays en 1962. Les berbérophones représentent de un tiers de la population algérienne. Depuis l'indépendance de ce pays, l'arabe succède au français comme langue officielle. La politique linguistique algérienne se traduit par une arabisation massive de l'administration et de l'enseignement. La réflexion sur la situation linguistique est d'abord le fait d'intellectuels expatriés (Taos Amrouche, Mouloud Mammeri et des membres de l'Académie berbère. A l'intérieur du pays, c'est en Kabylie que se trouve la plus importante concentration de berbérophones. L'université de Tizi Ouzou créée en 1977 est un lieu d'échange, y compris sur le plan culturel. Comme ailleurs, l'organisation de débats et de concerts, ainsi que la représentation de pièces en langue berbère sont soumises à autorisation et souvent refusés.

Chronologie des événements

 

2 mars 1980 : Interview de Mouloud Mammeri au journal "Libération" à propos de son dernier livre édité chez Maspero "Les poèmes kabyles anciens".

10 mars 1980 : Une conférence de Mouloud Mammeri à l'université de Tizi-Ouzou sur la poésie berbère ancienne est interdite par les autorités.

11 mars 1980 : 1500 étudiants sur les 1700 que compte l'université de Tizi-Ouzou manifestent pendant plus de deux heures devant la wilaya, le siège du parti unique, aux cris de "halte à la répression culturelle", "Culture berbère, culture algérienne", "Le berbère est notre langue", "Nous en avons assez de l'injustice". Ils dénoncent durement toute tentative de récupération politique de leur mouvement. Grève de l'université.

12 mars 1980 : Les lycéens de Tizi-Ouzou se mettent en grève pour manifester leur solidarité avec les étudiants.

13 mars 1980 : Apparition d'inscriptions du FFS dans la Kabylie et l'Algérois pour manifester leur solidarité avec les étudiants. "Démocratie, liberté d'expression, langues populaires = langues nationales". Le mouvement s'étend. A Larbâa Nat Yiraten, les enseignes en arabe sont arrachées.
Le commissaire de police bloqué dans sa voiture par les manifestants, doit crier leur slogan: "A nerrez wal' a neknu" (plutôt rompre que plier), vers du poète Si Mohand. La caserne est envahie et les jeunes du contingent fraternisent. Le maire arrive. On lui demande des cars pour réveiller les douars de l'intérieur. Il s'éxcuse de ne pas en avoir sous la main. Le président Chadli qui devait faire une inauguration à Tizi-Ouzou, le 15 mars annule son voyage. Le wali de Tizi-Ouzou, Sidi Saïd, convoque les chefs d'établissements du département. Lors de cette réunion, le directeur de l'institut islamique fait l'apologie du wali précèdent, le traître Kharroubi, qui "pour être Kabyle n'en était pas moins patriote" "pour moi, ajoute le religieux, il faudrait tirer sur la foule".

15 mars 1980 : Constitution d'un comité de défense des droits culturels en Algérie (CDDCA) , domicilié à la revue Esprit 19 rue Jacob, Paris, 75006.

16 mars 1980 : A Alger, 200 étudiants défilent rue Larbi Ben M'hidi pour la culture berbère et la "langue berbère, langue nationale". Ils sont violemment dispersés aux abords de la Grande Poste. Une quarantaine d'arrestations sont opérées, dont 5 ont été maintenues.

18 mars 1980 : Visite du wali à Azazga. La population exprime son mécontentement d'une manière violente et le wali a dû s'enfuir. Les écoliers et les lycéens envahissent la rue et s'attaquent à la gendarmerie. Le siège du FLN est saccagé. A Aïn El Hammam (ex-Michelet) les ouvriers manifestent dans la rue leur soutien au mouvement des étudiants et des lycéens. A Drâa El Mizan, les lycéens manifestent. La police fait 70 arrestations. Cent vingt lycéens sont arrêtés après une manifestation dans une autre localité. Des troupes supplémentaires sont amenées dans toutes les casernes des Kabylie.

20 mars 1980 : Pour la première fois la presse algérienne parle en termes sybillins des manifestations de Tizi-Ouzou dans un article d'El Moudjahid, intitulé "les donneurs de leçons" signé K. B.

20-26 mars 1980 : Les pétitions de protestation affluent chez les autorités.

26 mars 1980 : Nouvelle manifestation à Tizi-Ouzou des près d'un millier d'étudiants. La police n'intervient pas.

30 mars 1980 : Récital d'Aït-Menguellet à la porte de Pantin. Le comité de défense des droits culturels appelle à un rassemblement silencieux devant l'ambassade d'Algérie en France.

6 avril 1980 : Assemblée générale des étudiants à Ihesnawen (Tizi-Ouzou) décidant l'occupation de la salle de reprographie de l'université et appelle à une manifestation pour le 7 avril à Alger.

7 avril 1980 : 10 h du matin. Alger, place du 1er Mai, cinq cents manifestants dont des étudiants et des enseignants se regroupent en milieu de matinée pour réclamer le droit à l'existence pour la culture berbère. Leurs banderoles sont "culture populaire", "liberté d'expression", "le berbère n'est-il pas une langue algérienne?", "démocratie culturelle". La police intervient dès le départ du cortège qui entonne alors le chant des maquisards "Min djibalina" (de nos montagnes s'est élevée la voix de la liberté). La police réprime sauvagement les manifestants. Près de 200 sont embarqués dans les fourgons à coups de matraque. Parmi les manifestants, on dénombre plusieurs blessés et cinq personnes sont dans le coma. Un manifestant est mort sous les coups de matraque. Une grève est votée à l'université d'Alger. L'université de Tizi-Ouzou est en grève et occupée par les étudiants.
- 11 h 30 : Meeting à la faculté centrale d'Alger pour décider d'autres marches sur le commissariat central pour protester contre la répression.
- 15:00 : Rassemblement silencieux devant l'ambassade d'Algérie en France à l'appui du CDDA regroupant un millier de personnes. Une motion devait être remise à l'ambassade. L'ambassadeur a refusé de recevoir la délégation les traitant de non Algériens. Une lettre ouverte au président Chadli a été lancée pour recueillir des signatures.
- dans la soirée : Assemblée générale des étudiants décidant une grève générale illimitée avec occupation des locaux de l'université.

8 avril 1980 : A Alger, plus d'un millier d'étudiants manifestent aux cris de "A bas la répression", "police assassin", "libérez les détenus", "culture populaire algérienne". Ils entonnent aussi des chants patriotiques. Ils sont énergiquement refoulés par la police dans l'enceinte universitaire. La manifestation se prolonge pendant plus de deux heures. La plupart des interpellés sont libérés.
En Kabylie, plusieurs milliers de paysans de Aïn El Hammam et Larbâa Nat Yiraten marchent sur Tizi-Ouzou. L'armée bloque les routes et leur fait rebrousser chemin. La plupart des interpellés de la veille ont étés libérés. Les étudiants de Boumerdès se mettent en grève. Motion de soutien des étudiants et travailleurs de la Fac centrale aux étudiants de Tizi-Ouzou. Mise en place d'un bureau de coordination pour Alger.

9 avril 1980 : Le mouvement s'étend en Kabylie. Les manifestations de jeunes revendiquant le droit à l'existence pour la culture berbère se multiplient aux Ouadhias, Aït-Yanni, Djemâa-Saaridj, Dellys, Bordj Menaïel, Sidi Aïch, etc. A Sidi Aïch, 9 avril, un concert donné par le chanteur Ferhat (groupe Imazighen Imula) est interdit. Le chanteur est interpellé par la police.

10 avril 1980 : Contre-manifestation organisée par le parti FLN à Tizi-Ouzou.


9-15 avril 1980 : Constitution de comités de vigilance et de soutien aux étudiants en grève dans tous les villages de Kabylie.

11 avril 1980 : Réponse de Mouloud Mammeri à El Moudjahid à propos des "donneurs de leçons" refusée par ce même journal, reprise par le journal Le Matin. Ronéotypé et distribué par les étudiants à la population en Algérie et en France.

13 avril 1980 : Une délégation d'enseignants de Tizi-Ouzou a été reçue par le ministre de l'enseignement supérieur. Les élèves du lycée Amirouche de Tizi-Ouzou se mettent en grève et occupent l'établissement. Les travailleurs de l'hôpital envoient une motion de soutien aux étudiants grévistes et une lettre au président Chadli demandant l'arrêt de la répression. Un tract attribué au FFS appelle à une grève générale pour le 16 avril.

15 avril 1980 : Le CDDCA à Paris appelle à une marche pacifique pour le 26 avril devant l'ambassade d'Algérie et le 1er mai à la rue des filles du clavaire à la Bastille. Occupation de l'hôpital de Tizi-Ouzou.

16 avril 1980 : Grève générale totale en Kabylie. Le chanteur Ferhat du groupe Imazighen Imula est enlevé à Dar El Beida à 14 h 30. Le ministère de l'Enseignement supérieur lance un ultimatum aux étudiants de Tizi-Ouzou pour reprendre les cours le 19 avril. Le soir, réunion conjointe entre travailleurs de la Sonelec, Sonelgaz, hôpital, étudiants, enseignants, lycéens, Sonitex, et Casoral condamnant la répression et mettant sur pied un comité populaire de coordination.

18 avril 1980 : Rassemblement devant l'ambassade d'Algérie à Ottawa et marche symbolique devant le parlement canadien.

20 avril 1980 : 1 h du matin. L'opération Mizrana est déclenchée. Les forces de répression envahissent tous les lieux occupés (université, hôpital, usines). Les étudiants surpris dans leur sommeil sont assommées dans leur lit. Les chiens sont lâchés sur les fuyards. Des étudiants sautent des étages de la cité universitaire en slip. Des professeurs sont arrêtées à leur domicile. Tout le personnel de l'hôpital, médecins et infirmiers, est arrêté et remplacé par des médecins militaires. Des rumeurs font état de 32 morts et plusieurs centaines de blessés. Une grève générale spontanée a été déclenchée par la population de Tizi-Ouzou, plus aucune enseigne en arabe ne subsiste, ni plaque de rues.
La Kabylie était coupée du monde. Interdiction d'accès à tout le monde et aux journalistes en particulier.

21 avril 1980 : Condamnation des 21 d'El-Kseur. Des barricades commencent à s'édifier dans la haute ville et à la gare. Les forces de répression circulent baïonnette au canon. Les nouvelles galeries sont pillées (par provocation?). Le centre artisanal saccagé, ainsi que la gare routière et la villa de Kharroubi. La population des villages environnants marche sur la ville pour protester contre la répression et les morts.

22 avril 1980 : Trois journées de grève générale. Des barricades continuent à s'édifier dans la haute ville. Des manifestants parcourent la ville avec des banderoles pour la libération des détenus et l'arrêt de la répression, d'autres proclamant "Imazighen" sont déployées. Les CNS chargent les manifestants dans le dos. De durs combats ont lieu partout dans la ville. Les montagnards redescendent dans la ville et dressent des barricades. Pillage du bureau de l'APS, la SAA, la maison de l'artisanat, le siège du parti, l'hôtel le Balloua, le cinéma Mondial. Grève de solidarité déclenchée à l'hôpital Mustapha (Alger) par le personnel soignant.

23 avril 1980 : 4 ème journée de la grève générale. Des arrestations massives ont lieu partout. Des manifestants venant de Tigzirt-sur-mer affrontent les forces de répression à l'entrée de la ville. De violents affrontements ont lieu également à Draâ Ben Khedda.

24 avril 1980 : Retour au "calme" progressif, les magasins d'alimentation rouvrent dans l'après-midi. Des affrontements très violents ont lieu entre manifestants (des Ouadhias, de Larbaâ et de Aîn El Hamam) et les forces de répression. Les nouvelles galeries croulent sous l'abondance des marchandises.

25 avril 1980 : La ville est quadrillée par les forces de répression. La RTA filme les endroits saccagés. 17 h, l'ambassadeur d'Algérie est reçu au quai d'Orsay. 17 h 50 le préfet de police signifie au comité de défense des droits culturels en Algérie, l'interdiction de la marche prévue pour le lendemain.

26 avril 1980 : Malgré l'interdiction de la manifestation par le préfet, et pour le "risque de troubles de l'ordre public" le contre-ordre est lancé par le CDDCA par voie de presse et audiovisuelle, près de 500 personnes sont venues. 400 personnes ont été interpellées par la police et conduites à Vincennes où elle furent fouillées, photographiées et fichées. L'Amicale des Algériens avait "délégué" 200 provocateurs emmenés à Paris par cars et payés à la journée.

29 avril 1980 : le préfet de Paris interdit la manifestation silencieuse du CDDCA prévue pour le 1er mai pour "risque de trouble de l'ordre public.

10 mai 1980 : Gala de Matoub Lounès à l'Olympia. Une minute de silence fut observée en signe de solidarité avec le mouvement populaire en Algérie.

12 mai 1980 : Grève à la Fac d'Alger.

16 mai 1980 : Une liste de 24 détenus est publiée par El Moudjahid et annonce leur traduction devant la cour de sûreté de l'Etat siégeant à Médéa.

18 mai 1980 : Grève générale à Tizi-Ouzou suivie massivement par la population à l'exception des Nouvelles Galeries Algériennes.

19 mai 1980 : Manifestation de protestation contre la répression à Alger.

24 mai 1980 : Assemblée générale à la Fac centrale d'Alger agressée par les agents du pouvoir.

25 mai 1980 : Le CDDCA publie la "lettre ouverte à Chadli" qui a recueilli 3522 signatures.

3 juin 1980 : Publication de la pétition du Comité international de soutien aux victimes de la répression en Algérie. Mise sur pied par le CDDCA et qui a recueilli 140 signatures de personnalités universitaires et artistiques.

21 juin 1980 : 14 h. Meeting de soutien aux détenus en Algérie, tenu à la Bourse du travail à Paris organisé par le CDDCA et le comité international contre la répression sur les mots d'ordre suivants : -Halte à la répression.
- Libération inconditionnelle et immédiate de tous les détenus.
- Langues populaires (arabe algérien et berbère) comme langues nationales.
Ont été invités à participer au meeting toutes les organisations et personnalités algériennes et françaises. Ont participé celles qui ont souscrit à ces principes.
- Le CDDCA, l'ASEP, UNEF, LCR, FEN, FO, OCI, FFS, ligues internationales des droits de l'homme. Quant à Djamel Allam et le groupe Djurdjura ils ont refusé de répondre à l'appel du CDDCA, Ferhat et Aït Menguelet ont été retenus en Algérie.

25 juin 1980 : Journée de soutien aux détenus organisée à Tizi-Ouzou.
20 h. L'APS annonce la mise en liberté provisoire des 24 détenus de Berrouaghia pour le lendemain.

26 juin 1980 : Une délégation avec plusieurs voitures part de Tizi-Ouzou pour chercher les détenus qui sont accueillis par Tizi-Ouzou en fête

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PRINTEMPS NOIR DE KABYLIE EN 2001

 

 

 

  1. Exécutions sommaires et fusillades

    Le 25 avril 2001 à 10h00 du matin, les lycéens et les collégiens de Ouzellaguen (Béjaïa) organisaient une marche pacifique pour dénoncer l'assassinat du jeune Guermah et l'arrestation des collégiens de Amizour (Béjaïa), 5 personnes ont été tuées par balle, alors qu'elles fuyaient les assauts des

    gendarmes14. Kamel Makhmoukhen, 19 ans, première victime du Printemps Noir, a reçu deux balles dans le dos alors qu'il tentait de s'abriter, fuyant l'assaut des gendarmes de la brigade de Ouzellaguen. À quelques kilomètres de là, le jeune Boukhedad, âgé de 15 ans, a subi le même sort : il est exécuté, le 25 avril 2001, de trois balles dans le dos par le chef de brigade, Issam, de la gendarmerie de Seddouk.

    Trois jours après, du côté de Draâ El Mizan, dans le village de Aït Yahia, Chaibet Hocine, 16 ans, a été exécuté, lors d'une fusillade, par des gardes communaux. M. Djebbouri Mohamed, maire de cette localité, racontait alors que "les membres de la garde communale de Draâ El Mizan, qui sont Yazid Rabah, Saâdoui Mohand Amokrane, Herda Rabah et Tobal Ramdani ont reçu l'ordre de leur responsable d'ouvrir le feu sur la population et ces derniers n'ont jamais été inquiétés ni par la justice ni par les autorités".

    A quelques kilomètres de là, à Larbaâ Nath Irathen (Tizi-Ouzou), 5 manifestants ont été exécutés par des snipers, tirant de la terrasse de la brigade de gendarmerie. Les témoignages15 recueillis sur place sont éloquents : Mouloud Belkacem, âgé de 30 ans, a été victime d'un sniper alors qu'il essayait de porter secours à un blessé, Arezki Hammache, 31 ans, lui aussi victime d'un tir de sniper. Ils ont été, ensuite, exécutés arbitrairement par des gendarmes d'une balle dans la nuque et dans le dos.

    Souvent, les personnes tuées se trouvaient à des dizaines de mètres des lieux d'affrontements, pourchassées en dehors de la ville, loin des brigades de gendarmerie, des commissariats de Police et des édifices publics. Ainsi, à Akbou, entre le 18 et le 19 juin 2001, 5 jeunes ont trouvé la mort et une vingtaine ont été blessés par balle lors de fusillades, alors qu'ils étaient loin du centre ville et à 1500 mètres du commissariat. Un des rescapés de la fusillade, S. Djaffar, 22 ans, blessé à l'épaule par balle témoignait alors : "On était assis dans le quartier lorsque plusieurs fourgons de la police arrivent à toute vitesse au carrefour de Guendouza, exhibant leurs armes, les CNS descendent de leurs camions et nous arrosent de bombes lacrymogènes suivies de tirs de sommation. Les jeunes du quartier alertés, se sont regroupés pour faire face à la descente des CNS, d'autant plus que la presse de la veille avait rapporté des informations sur des descentes punitives dans plusieurs localités de Béjaïa, de Tizi-Ouzou, de Sétif et de Bouira. On était à une soixantaine de mètres des fourgons de polices, venus en renfort pour permettre à un convoi de gendarmes de passer. Juste après leur passage, les CNS ouvrent le feu sur nous. J'étais à une trentaine de mètres d'eux, quand un des CNS armé de sa Kalachnikov, posté derrière les autres, sort et tire des rafales dans notre direction faisant plusieurs morts, ont Karim Sidhoum et une quinzaine de blessés. Il devait être entre 17h30 et 18h00 ". À Tichy, des éléments des forces anti-émeutes de la gendarmerie ont pourchassé et tué un jeune de 15 ans qui fuyait dans un verger.

    Des tirs de snipers

    Les sources hospitalières ainsi que les différents témoignages recueillis sur place, montrent que les forces de l'ordre ont utilisé dès le départ des moyens musclés pour répondre aux manifestations de rue. Aux jets de pierres, les gendarmes et les CNS ont répondu avec des armes de guerres de type Kalachnikov ou Séminov. Le rapport de la commission Issad16 mentionne qu'une expertise balistique (celle de Guermah) affirme que les orifices de sortie des balles de Kalachnikov peuvent avoir un diamètre de plus de six centimètres.

    Les médecins de l'hôpital de Tizi-Ouzou, de Larbaâ Nath Irathen, d'Azzazga et d'Akbou, qui avaient traité les victimes du mois d'avril 2001, ont confirmé avec certitude les informations qui nous étaient parvenues sur la présence de snipers. "Presque toutes les victimes que nous avons reçues montrent avec précision des impacts de balles sur la tête, le cou et la moitié supérieure du thorax. Il y a beaucoup moins d'impacts abdominaux ou thoraco-abdominaux. Les localisations des blessures démontrent que les tireurs avaient l'intention dès le départ de tuer avec préméditation."

    D'ailleurs, les conclusions du rapport Issad sont assez significatives : il relève que "la plupart des morts ont été

    touchés dans les parties vitales les plus fragiles, situées dans la partie haute du corps humain (au-dessus du sixième espace intercostal) et qui laissent peu de chances à une thérapeutique, fut-elle pratiquée d'extrême urgence et la grande proportion de ces localisations mortelles paraît difficilement imputable au hasard de la dispersion des projectiles

    Les victimes ont été touchées à plus de 80 mètres des brigades de gendarmerie ou des commissariats de police, alors qu'elles étaient sans armes et fuyaient les assauts des forces anti-émeutes. D'après nos enquêtes, les forces de l'ordre ont utilisé des snipers pour réprimer les manifestants ou tout simplement pour exécuter des personnes. Le ou les tireur(s) étaient souvent, postés sur des terrasses comme à Larbaâ Nath Irathen, Maâtkas, Oudhias, Ouzellaguen et à Azazga.

    Plusieurs témoignages ont confirmé la sauvagerie et la volonté déterminée des forces de l'ordre d'exécuter des civils sans états d'âme. À Ouzellaguen le 26 avril 2001, Ibrahim Saddek a été roué de coups et un des gendarmes lui a craché dessus alors qu'il gisait par terre, blessé à la suite d'un tir de sniper. Le 27 avril, à Azazga, (Tizi-Ouzou), un gendarme sniper, posté sur une terrasse, a exécuté de sang froid cinq personnes en 30 minutes17.

    À Akbou, (Bejaia), le jeune Abdelkrim Mesbah, âgé de 20 ans, a été victime d'un sniper, un policier en civil, posté sur la terrasse du commissariat de police d'Akbou. Le témoin a précisé que la jeune victime "était assise à une trentaine de mètres du commissariat, il était en train de manger quand il a reçu une balle en pleine tête. Alors que les autres policiers et CNS, continuaient à tirer pour nous empêcher de le secourir. Il a fallu qu'on fasse le tour, 300 à 400 mètres de plus pour rejoindre l'hôpital, Abdelkrim avait perdu beaucoup de sang, il mourra quelques minutes après".

    À Sidi Aïche, dans le village de Takriets, Messalti Hafid, âgé de 13 ans, a été tué par un gendarme des brigades anti-émeutes alors qu'il sortait de chez lui. Sa famille racontait que "le gendarme en question était à une centaine de mètres de la victime, le gendarme s'est mis à genou, a visé la tête de Hafid et lui a tiré une balle". À Alger, le jeune Hanniche Hamid,17 ans, a été tué par un militaire posté dans sa guérite, alors qu'il s'apprêtait à rentrer chez lui après la marche pacifique du Front des Forces Socialistes18, le 31 mai 2001.

     

     

    ".
  2. Tortures et mauvais traitements

    Après chaque arrestation, les pratiques de tortures et de mauvais traitements par les forces de l'ordre, ont été

    systématiques. Des centaines de cas ont été enregistrés par la LADDH.

    Idir C, 21 ans, raconte : "J'ai été emmené et mis en cellule, les deux gendarmes qui m'ont embarqué se battaient entre eux pour savoir qui des deux allait commencer à me battre. Ils m'ont déshabillé et battu, à tour de rôle, sans arrêt de 15h00 à 21h00. Par la suite ils m'ont sorti dans la cour de la brigade pour ramasser les pierres ensuite, ils m'ont menacé de mort si je ne mont[ais] pas sur la terrasse de la brigade pour crier aux passants : Vive la Gendarmerie !".

    Dans la même période S. Dahmane, né le 9 septembre 1972, a été agressé par des gendarmes alors qu'il essayait, avec d'autres, d'éteindre une voiture en feu. "J'ai reçu un coup de barre de fer sur la tête et j'ai perdu connaissance. Ce n'est qu'à mon réveil à l'hôpital que mes amis, qui ont pu me tirer de là, m'ont raconté que les gendarmes, une dizaine d'après eux, m'ont roué de coups et mis à nu avant de me délester de mon argent (2000 dinars algériens, 200 FF) et me jeter près de la voiture en feu. J'ai eu trois dents cassées. (…)".

    Dans cette localité uniquement à Tadmaït (Tizi-Ouzou), nous avons eu une vingtaine de témoignages de ce genre. Les forces de l'ordre n'ont épargné personne. À Chorfa (Bouira), un jeune, Walid S., 14 ans, a été arrêté, torturé, terrorisé toute la nuit par les gendarmes de la brigade de Chorfa. Le lendemain, un fourgon de la gendarmerie, transportant une dizaine de personnes arrêtées et qui avaient subi les mêmes traitements, s'est dirigé vers Bouira pour les présenter devant le juge. L'une d'entre elles a vu comment le jeune Walid S. a été jeté sous un pont alors que le camion roulait. D'après ce témoin, les gendarmes étaient persuadés que le jeune mineur, vu son âge, allait être relâché par le juge. À quelques kilomètres de là, à Ouzellaguen, un jeune de vingt ans capturé par les gendarmes, s'est fait tabasser par une trentaine d'entre eux à l'intérieur de la brigade de Hellouane.

    Il s'en est sorti avec la mâchoire déplacée, la jambe droite et son bras fracturés.

3 - Expéditions punitives, représailles, pillages et vols

Plusieurs témoignages et informations relevés par la presse font état de campagnes de représailles et d'expéditions punitives, notamment durant le mois de juin 2001. À Chorfa, le 20 juin 2001, des brigades de gendarmerie sont arrivés en renforts. Les citoyens parlaient de "gendarmes avec un physique incroyable", ce qui leur a fait croire qu'il s'agissait "d'hommes des forces spéciales, les bérets rouges19 déguisés en gendarmes." Les mêmes informations ont été rapportées dans la presse du mois de juin 2001 sur

l'éventuelle présence de bérets rouge à Akbou et à Béjaïa déguisés en gendarmes, appelés en renfort pour mater les manifestants de Kabylie. Vers 22h00, racontaient les citoyens de Chorfa rencontrés sur place, ils ont commencé à sortir parderrière la gendarmerie en faisant le mur. Ils avaient des armes blanches et lançaient des pierres dans les maisons en menaçant et en insultant les habitants. Sur leur passage, ils cassaient les éclairages publics, saccageaient les commerces et tentaient des incursions dans les maisons, ils se sont

attaqués au Centre Culturel pour détruire la stèle de Matoub Lounes, et tenter ensuite d'y mettre le feu. Vers minuit, les jeunes se sont constitués en groupes d'autodéfense armés de pioches, de barres de fer, de couteaux pour protéger leurs quartiers. Les appels à la vigilance et à l'autodéfense fusaient des hauts-parleurs de la mosquée de Chorfa.

Plusieurs localités ont vécu cette situation, juste après la marche du 14 juin 2001. Des gendarmes et des CNS armés de cocktails Molotov, de pierres et d'armes blanches se sont attaqués à des maisons et des locaux de partis politiques, cassant les voitures des particuliers, saccageant et pillant les commerces.

Dans la wilaya de Bejaïa, à Akbou, du 18 au 19 juin 2001, les CNS, après avoir tiré sur la foule, se sont emparés de l'Hôpital et ont saccagé les éclairages publics pour ensuite piller les magasins et boulangeries. Dans la même journée, une descente punitive à Haïzer, dans la wilaya de Bouira, a fait 5 blessés parmi les habitants et plusieurs magasins pillés. Du côté de Tizi-Ouzou, les mêmes scènes de pillages et d'expéditions punitives ont eu lieu à Fréha, Azazga et Larbaâ Nath Irathen, Tizi Rached, Béni Yenni, où des gendarmes ont

organisé une descente punitive nocturne saccageant commerces et locaux, suite à une tentative, par de jeunes

manifestants, de brûler un camion de la gendarmerie. À Beni Maouche (Sétif), même chose. Le jeune commerçant Ouchabaâ K. a vu, comme d'autres, son commerce pillé et sa voiture saccagés par les gendarmes, alors que d'autres commerces ont bizarrement été épargnés. Ouchabaâ expliquait que ceux "qui ont été la cible des gendarmes étaient ceux qui ne voulaient pas céder à leurs pressions auparavant. À plusieurs reprises, ils ont essayé de faire des courses, chez moi, gratuitement et j'ai toujours refusé. Et je suis sûr que c'est un règlement de comptes sinon comment expliquer qu'entre deux commerces saccagés, il y [en] a un d'épargné". Cette campagne de terreur, suite aux descentes punitives du mois de juin 2001, a fait fuir des familles entières habitant les environs de brigades de gendarmerie ou de commissariats. Ainsi, à Tizi Rached, le 21 juin 2001, suite aux expéditions punitives nocturnes, les habitants vivant à proximité de la gendarmerie ont abandonné leur domicile dès le lendemain matin.

 

4 - Destruction, attaques et occupation des hôpitaux

Durant ce Printemps Noir, les forces anti-émeutes, qu'elles soient de la gendarmerie ou de la police, ont souvent pourchassé des manifestants ou des blessés à l'intérieur des hôpitaux. Plusieurs cas ont été signalés et dénoncés par des médecins, notamment à Tizi-Ouzou où le principal hôpital de la région a été "visité" à plusieurs reprises dans la nuit par des gendarmes pour tabasser les blessés.

À El Kseur, S. A., membre du Croissant Rouge Algérien (CRA), a raconté la journée du jeudi 24 mai 2001, qui avait fait 365 blessés : "Les CNS et les gendarmes, sous l'effet de l'alcool se sont acharnés sur la population. Ils ont jeté des bombes lacrymogènes à l'intérieur des maisons et ont tenté de pénétrer dans d'autres. Ils ont pillé des commerces, saccagé une pharmacie et tabassé un handicapé en lui brisant une

jambe alors qu'il était chez lui. Ils ont encerclé la polyclinique et interdit le passage aux blessés ce qui nous a amenés à ouvrir, avec des infirmiers et des médecins, des salles de soins dans des garages de particuliers. En tant que membres du Croissant Rouge avec le gilet officiel de secours, on a été menacés de mort à plusieurs reprises. Et ils ont essayé à maintes reprises de nous bloquer pour nous arracher des mains les blessés

Lors de la marche du 14 juin 2001 à Alger, plusieurs dizaines de citoyens ont été tabassés par des policiers en civil ou en uniforme réglementaire. Mohand Chérif H., 22 ans, était parmi ces blessés. Brutalisé par des policiers du commissariat du 8e, il a ensuite échappé à une tentative d'assassinat par des policiers en civil à l'intérieur même de l'hôpital Mustapha Bacha d'Alger : "Ils étaient trois et faisaient le tour des blessés en les insultant. L'un d'eux avait un long couteau à la main. Voyant mon bras dans le plâtre, ils s'arrêtent et me rouent de coups en me menaçant de mort, j'ai pu fuir au moment où un des infirmiers, alerté par mes cris, est rentré dans la salle"

À Akbou, lors des deux journées sanglantes du mois de juin (18 et 19 juin), les CNS avaient carrément pris en otage l'hôpital, interdisant le passage des blessés et des citoyens, et menaçant de mort le personnel médical qui s'occupait des blessés. Il a fallu que le maire de la localité ouvre des salles de soins à l'intérieur de la Mairie.

Dans un communiqué remis à la presse le 18 juin 2001, les citoyens de Beni Maouche, situé à la frontière des wilayets de Bejaia et de Sétif, ont dénoncé les représailles dont ils ont été victimes par les gendarmes. Les fonctionnaires de la Mairie de Beni Maouche rencontrés sur place ont confirmé que des gendarmes venus en renfort, se sont attaqués au dispensaire, l'ont saccagé et y ont mis le feu, alors que c'était le seul lieu de soin de toute la région.

". Même chose à Larbaâ Nath Irathen, à Boghni et Draa El Mizan (Tizi-Ouzou), des bénévoles du Croissant Rouge Algérien ont été agressés par des gendarmes. On leur a même tiré dessus alors qu'ils essayaient de secourir des blessés.

Rédigé par aitsmail

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